[Leadership] 5 clés du leadership dans un environnement complexe
- Samia Bounoua Debeine
- 3 févr. 2020
- 7 min de lecture

Quand il s’agit d’un problème complexe, il y a une évidence sur laquelle tout le monde fait consensus : un seul cerveau n’est pas suffisamment performant pour explorer toutes les possibilités.
Face à une situation complexe, de nombreux décideurs, pour faciliter leurs échanges, éviter les conflits bloquants et donc accélérer leurs prises de décisions, choisissent de rassembler autour d’eux, des personnes qui les comprennent, disposent du même schéma mental. Bref des personnes qui leur ressemblent et partagent leurs points de vue.
Mais « plusieurs cerveaux » ne signifie pas « plusieurs cerveaux similaires ». Au contraire, c’est la diversité, et donc la multiplicité des perspectives qui permet de résoudre un problème complexe. La première clé est donc la suivante :
#1 - Explorer collectivement et sous différentes perspectives est la meilleure démarche pour aborder un problème complexe
Dans son ouvrage sorti en 2015, Team of teams, le Général Stanley McChrystal, qui a mené des opérations spéciales en Irak fait une formidable démonstration de leadership dans un environnement complexe.
Dans son livre, il décrit comment il reconstitue un groupe de travail pour des opérations spéciales conjointes au Moyen Orient pour lutter contre un nouveau type d’ennemi, décentralisé et féru de technologies. Grâce à beaucoup de transparence et de communication, le général va réussir à casser des silos pourtant très puissants entre les différentes agences.
Pour une entreprise ou une institution c’est la même chose. Disruptée, challengée par des concurrents ou une nouvelle réglementation, décalée face aux nouvelles aspirations de consommateurs-citoyens… Elles sont sommées de se transformer et vite. [Qui sera concerné ? Quelles vont être les conséquences sur mon environnement ? Combien cela va-t-il me coûter ? Combien de temps cela va-t-il me prendre ? Comment puis-je m’assurer que je vais dans la bonne direction ? Mes choix aujourd’hui vont-ils correspondre au monde de demain ?
La transformation pour une organisation est une situation incertaine et particulièrement complexe.
Si l’on considère les enseignements du général, toute organisation confrontée à une situation complexe comme sa transformation devrait donc, avant tout, réussir le challenge de convaincre et de faire réfléchir, collectivement, autour du même objectif, des individus très différents dans leur manière d’appréhender les problèmes.
Maintenant, nous sommes bien avancés !
Pourquoi ? Parce que dans l’extrême majorité des entreprises comme des institutions, l’organisation des tâches est consciemment structurée en silos.
Le modèle en silo, dans un champ, permet de mieux résister aux menaces de l’environnement, aux vents, aux tempêtes, etc. Dans l’entreprise, le silo, c’est l’expertise et la spécialisation.
Ce sont des spécialistes qui gèrent et maîtrisent leur domaine : l’informatique gère le fonctionnement et s’assure de la sécurité des systèmes d’information, le juridique gère les contrats, les litiges, la conformité réglementaire, la R&D, la comptabilité, la finance, les ressources humaines, le marketing, la communication, quand ce n’est pas encore subdivisé en sous-service, B2B/B2C, corporate…
Alors pourquoi concrètement une grande majorité d’entreprises ont elles adopté ce modèle ? Parce que c’est simple à mettre en place !
Et cette organisation s’accompagne d’une hiérarchie verticale. Un responsable est garant de l’exécution. Il en rend compte lui-même à une autre chaîne de commandement, etc… Un modèle lui-même emprunté à l’armée.
MAIS le monde n’est plus le même qu’il y a 50 ans.
Digitalisation, mondialisation, déréglementation, accélération des communications, éveil des consciences face au risque climatique. Comme pour le général Stanley McChrystal, le contexte s’est considérablement complexifié. Nos sociétés n’ont pas fait que se transformer, elles se transforment désormais perpétuellement…
D’un monde Taylorien, linéaire, de production de masse, nous sommes passés à un monde plus complexe et incertain ou c’est la créativité qui fait désormais la différence. L’innovation.
Et dans ce nouveau monde, le modèle en silo n’est plus adapté.
Mais que reproche-t-on aux silos ?
Deux professeurs écrivaient déjà en 1995 dans la Harvard Business Review “As their label clearly warns, divisions devide”. Qui se traduirait par « comme son nom l’indique… diviser divise »…
Ce modèle, qui place la hiérarchie à un niveau très élevé, fragmente les ressources. Les incite démesurément à entrer dans une posture de compétition qui empêche les collaborateurs de partager leurs forces ou leurs connaissances. Crée des « chasse gardées ». Enferme les salariés dans leur manière de penser et de voir.
Et c’est LE frein majeur à la créativité, l’innovation.
Ils ne voient plus au-delà de leur département (ou de leur « brand »), et perdent totalement la perspective globale, le but, les priorités de leur organisation.
Comment résoudre collectivement un problème complexe, si l’on ne partage pas la vision globale ?
Et c'est la seconde clé :
#2 - S’assurer de l’alignement de l’ensemble des parties prenantes sur l’objectif global permet de donner du sens à l’action
Il ne s’agit pas de mettre fin à la division des tâches, et à la spécialisation, bien au contraire, l’organisation a besoin d’experts au sein de ses divisions. Il ne s’agit pas non plus d’enlever toute hiérarchie, l’entreprise libérée est très risquée, très complexe à mettre en place et réussie rarement.
Les silos permettent de garder concentrées les équipes sur leur cœur de métier et de mettre leur expertise au service de leur organisation.
Non, l’organisation a besoin de passerelles entre ses services. Ces passerelles vont lui permettre de libérer la créativité de ses collaborateurs, d’innover pour mieux s’adapter à son environnement. Elles sont vitales dans un environnement en perpétuel mouvement, elles agissent tant sur sa performance globale que sur sa capacité à se transformer durablement.
Ce qui nous mène à la troisième clé :
#3 - Créer des passerelles permet de réussir une transformation durable
Le rôle du leader est non seulement de favoriser ces passerelles, d’en être le moteur, mais aussi d’en être l’acteur. Il y participe parce que c’est aussi lui qui tranche.
Diviser pour mieux régner est d’un autre temps. Le leadership c’est rassembler, reconnecter.
Enfin, quand il s’agit de transformation, la gestion des problèmes n’est pas linéaire. Ce n’est pas parce que je gère le problème A, que le problème B va être résolu. Non seulement les causalités sont multiples et interagissent les unes avec les autres : C, D, E, F… mais elles ne sont pas toutes connues.
Imposer un changement « clé en main » qui viendrait de la hiérarchie comme une réponse à un problème complexe est voué à l’échec.
Le leader doit plutôt se poser la question du contexte, un élément sur lequel il peut agir vraiment.
- Le contexte est-il favorable ?
- Le contexte est-il adapté ?
- Qu’est-ce qui pose problème dans ce contexte ?
- Quel contexte puis-je mettre en place pour que mes équipes réussissent ?
Le contexte, c’est le 5ème principe du leader effectual proposé par le professeur Philippe Silberzahn (EMLYON). Un principe qui permet d’arrêter de perdre du temps à chercher un coupable mais plutôt de se focaliser à faire évoluer nos M&Ms (modèles mentaux individuels ou collectifs) qui nous enferment dans nos représentations et empêchent la transformation.
Il ne s’agit donc pas tant de résoudre un problème, que de créer les conditions, un contexte favorable, qui va permettre aux collaborateurs de trouver ou de participer, à la solution, en fonction de leur propre environnement. Pour que les idées germent, que les solutions émergent, il faut un contexte favorable, c’est le principe même de la germination. Une graine ne peut pas germer si son environnement intérieur, d’abord, n’est pas favorable.
La quatrième clé se résume donc ainsi
#4 - Agir sur le contexte permet de créer les conditions de la réussite
Et puis se poser la question du contexte offre plusieurs avantages :
- Réfléchir collectivement
- Impliquer les collaborateurs
- Nous rendre plus agile, plus créatif, donc plus adapté
D’une situation macro ou globale, impliquant la vision ou l’objectif long terme de l’entreprise sur lequel tout le monde doit être aligné, il s’agit désormais de s’intéresser aux éléments micro, c’est-à-dire aux conditions locales de la réussite (au contexte).
Mais attention, la vision globale, dans un environnement qui nécessite une adaptation permanente, doit aussi faire preuve d’une certaine souplesse. La vision n’est pas figée, elle évolue et se nourrit des éléments de contexte locaux. IKEA a mis 10 ans pour savoir qu’elle ferait des meubles en kit. Figer une vision éloigne de l’action, d’où l’importance de se connecter en permanence au contexte pour mieux le transformer, l’adapter.
C’est ce jeu de va et vient entre global et local qui permet aux leaders de réussir leur transformation. En quelques mots :
#5 - Voir grand mais commencer petit
***
Réussir le challenge de la transformation nécessite de respecter certaines étapes qui doivent permettre d’installer de nouvelles manières de réfléchir et de collaborer au sein des organisations. En tant que conseil, j’ajouterais que ces préceptes ne doivent pas uniquement s’adresser aux organisations que nous conseillons. Tous les métiers du conseil devraient repenser leur manière d’accompagner leurs clients, qu’il s’agisse de résoudre leurs problèmes ou de trouver des solutions, il faut désormais travailler « avec » nos clients et non plus « pour » nos clients. C’est un changement radical dans l’organisation même de la relation client/agence. Et même si tout le monde le dit… personne ne le fait !
Parce qu’animer une réflexion collective s’organise bien en amont du brief, une étape à laquelle, hélas, les agences et cabinets de conseil ne sont pas conviés. Elle pose non pas la question du « comment faire » (pour augmenter mon trafic, élargir ma clientèle, être plus influent, gagner de nouvelles parts de marché…), mais, en amont de tout, la question du « pour quoi faire ». Et cette réflexion collective doit s’organiser sur un mode collaboratif beaucoup plus horizontal, impliquant, autour de la même table, les organisations et leur conseil, pour faire se rencontrer deux visions, deux perspectives différentes et complémentaires, celle de l’intérieur et celle de l’extérieur.
Des outils et des méthodes existent, ils ont fait leur preuve au sein de grands groupes comme IBM, Air Liquide ou encore Pizza Hut, des techniques qui s’inspirent du monde des startups, de Google, du design et notamment du design thinking pour accompagner la transformation en plaçant la création et l’innovation au cœur des enjeux.
Pour compléter vos réflexions par des conseils avisés d’entrepreneurs qui ont osé « think different », je vous invite à écouter la série de PodCast « Secret Leaders » sur Spotify qui, sans aucun doute, devrait inspirer chacun.
Pour résumer, le leadership dans un environnement complexe c’est :
Imposer la diversité des points de vue comme clé de la réussite
S’assurer de l’alignement des parties prenantes sur l’objectif global
Organiser des passerelles entre les expertises
S’interroger en permanence sur les conditions d’un contexte favorable à la transformation, à l’innovation
Voir GRAND mais commencer PETIT
Pour en savoir plus : sbd@seeds-consulting.fr
Références
“Team of teams. New rules of engagement for a complex world.” General Stanley McChrystal. 2015.
Professeurs Sumantra Ghoshal et Christopher A. Bartlett auteurs de « Changing the Role of Top Management : Beyond Structure to Processes ». Article de référence publié en 1995 dans la Harvard Business Review.
Béatrice Rousset et Philippe Silberzahn. Leadership effectual : les 5 principes de la transformation.
SECRET LEADERS. Spotify : https://open.spotify.com/show/2IwIk50zNhVsgK0rQRSik7
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